LA LEGION D’HONNEUR
DECORATION NATIONALE, VISIBLE PARTOUT ET PAR TOUS
L’Ancien Régime a vu se créer un grand nombre d’ordres de chevalerie. Mais la plupart ne sont pas allés pas au-delà de la Renaissance, quatre seulement subsistaient jusqu’à la Révolution.
S’agissant des deux ordres civils, seuls pouvaient y prétendre les personnages de la noblesse. Les gens du peuple et les bourgeois, même s’ils avaient rendu d’éminents services à l’Etat, n’y avaient pas accès. Cependant, dans la seconde moitié du 18e siècle, on voit l’ordre de Saint-Michel décerné à quelques artistes célèbres et particulièrement à quelques comédiens et comédiennes bien en Cour.
Les deux ordres militaires étaient réservés aux officiers. Le soldat, sous l’Ancien régime, n’avait droit à aucune récompense, si héroïque qu’il se soit montré dans les combats.
Les quatre ordres
subsistant à la Révolution
Deux ordres civils :
- L’ordre de Saint-Michel, que Louis XI avait institué en 1469 ;
- L’ordre du Saint-Esprit, créé par Henri III en 1578 ;
Et deux ordres militaires :
- L’ordre de Saint-Louis, fondé par Louis XIV en 1696, et
- Le mérite militaire, établi par Louis XV en 1759.
Prenant conscience que les armes d’honneur, dont on gratifiait les méritants, ne sauraient constituer une récompense « visible et connue de tous à tout instant et partout », le premier consul Bonaparte y remédie le 19 mai 1802, en leur substituant un insigne plus facile à arborer et en instituant la Légion d’honneur.
1. A l’origine de la création de l’ordre
A La Révolution, par une loi de 1791, l’Assemblée constituante décide de la suppression des ordres de chevalerie anciens ; suppression « pour jamais » de toute décoration. Mais les distinctions honorifiques étaient à peine abolies qu’on s’aperçut combien elles étaient nécessaires.
Les soldats de la République n’étaient plus, comme sous l’Ancien Régime, de simples mercenaires. Comment récompenser ceux d’entre eux qui avaient rendu, en combattant, des services à l’Etat ?… A défaut de décoration, on leur donnait des armes d’honneur.
Mais du jour où ils quittaient l’armée, plus rien ne les désignait à l’estime publique, car ces fusils, ces sabres, ces haches d’abordage, ornés d’inscriptions rappelant leurs actes d’héroïsme, ils ne pouvaient les porter avec eux sous le costume civil.
Rentrés dans leurs foyers, ils perdaient complètement le bénéfice extérieur des distinctions dont ils avaient été l’objet.
C’est ce qui décida Bonaparte, premier consul, à rétablir les décorations. Dans l’exposé de son projet de la légion d’honneur, il disait fort justement : ‘‘ Le Français aime la gloire, mais il veut être remarqué. ‘’ Et il racontait qu’à la bataille de Rivoli un cavalier l’avait sauvé en recevant un coup qui lui était destiné. ‘‘Je lui demandai, dit Bonaparte, ce qu’il voulait pour récompense. Il me répondit qu’il avait déjà un sabre d’honneur, et que, par conséquent, je ne pouvais rien de plus pour lui… En effet, concluait Bonaparte, je ne pus rien faire de plus. ‘’
Et c’est pourquoi, il disait encore dans son exposé : ‘‘ Il faut qu’on puisse récompenser ceux qui le méritent, mais il faut que cette récompense soit visible et connue de tous à tout instant et partout. Un insigne n’est-il pas plus facile à montrer que toutes les armes d’honneur ? ‘’
En outre, les artistes, les savants, les hommes qui, dans l’industrie, le commerce ou l’administration, avaient rendu des services au pays, se plaignaient justement de ne pas avoir leur part dans la reconnaissance nationale.
C’est pour pallier ce double inconvénient qu’en 1802 Bonaparte décida de créer un ordre destiné à récompenser également, le courage militaire et le mérite civil.
Il vint en personne défendre son projet devant le Conseil d’Etat. Tout en approuvant la création, certains conseillers voulaient qu’elle soit réservée exclusivement aux militaires.
D’autres estimaient que les croix et les rubans n’étaient que des hochets bons pour la monarchie.
Le premier consul leur répliqua avec vivacité (cf. encart).
Cette déclaration triompha des oppositions. Finalement, le projet de loi, adopté par le Conseil d’Etat, fut voté par le Tribunat et par le Corps législatif.
Bonaparte a poursuivi trois objectifs :
- Réconcilier les Français épuisés par dix ans d’instabilité politique et de conflits militaires.
- Fédérer autour d’un idéal commun : l’honneur individuel et l’honneur national
- Unir le courage des militaires aux talents des civils, comme le symbole fort d’un Etat puissant et unifié.
Ce qu’annonce la création de la Légion d’honneur est majeur : pas de privilèges, ni d’exemptions, ni de rétributions, mais la reconnaissance du seul mérite individuel acquis et non transmis.
Bonaparte répond aux conseillers
- Qui distinguer ?
‘‘Nous sommes 30 millions d’hommes réunis par les lumières, la propriété, le commerce ; 3000 000 ou 400 000 militaires ne sont rien auprès de cette masse.
Les soldats eux-mêmes ne sont que les enfants des citoyens. L’armée, c’est la nation.
Si l’on distinguait les hommes en militaires et en civils, on établirait deux ordres, tandis qu’il n’y a qu’une nation ‘’.
- Sur la distinction elle-même
‘‘Je défie qu’on me montre une république, ancienne ou moderne, dans laquelle il n’y a pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets ; eh bien ! c’est avec des hochets qu’on mène les hommes !’’
Organisation de l’ordre
L’ordre était organisé en 16 cohortes, comprenant chacune :
- 7 grands officiers,
- 20 « commandants »,
- 30 officiers, et
- 350 légionnaires,
Ce qui faisait un total de 6 512 membres.
A ces quatre classes, un décret de janvier 1805 en ajouta une cinquième.
Ce fut le plus haut degré dans la hiérarchie de la légion d’honneur, celui de grand-aigle qui, depuis, a pris le nom de grand-croix par une ordonnance royale du 26 mars 1816.
Par la même ordonnance, les « commandants » devinrent des « commandeurs », et les « légionnaires » des « chevaliers ».
La forme choisie pour la décoration fut celle d’une étoile à cinq branches avec, au centre, sur l’avers, l’effigie de Napoléon Ier entourée d’une couronne de chêne et de laurier ; et au revers, un aigle tenant la foudre, avec la légende : honneur et patrie.
2. Les premières solennités
C’est dans la chapelle de l’Hôtel des Invalides, ou comme on l’appelait alors, dans le « Temple de Mars » qu’eut lieu, le 15 juillet 1804, la première distribution solennelle des croix de la légion d’honneur.
Napoléon voulait que cette cérémonie soit entourée du plus grand éclat.
Après un éloquent discours du grand chancelier, le comte de Lacépède, on fit l’appel des dignitaires, qui s’approchèrent successivement du trône de Napoléon pour prêter le serment individuel prescrit par les statuts.
Puis l’empereur, se couvrit et, s’adressant aux commandants, officiers et légionnaires, prononça d’une voix forte la formule du serment.
Tous les membres de la légion, debout, la main levée, répondirent : ‘‘Je le jure ! ‘’
Les décorations furent ensuite déposées au pied du trône dans des bassins d’or, et l’empereur les remit à leurs titulaires.
Cette phase de la solennité inspira au peintre Jean-Baptiste Debret le célèbre tableau qui figure au musée du château de Versailles.
Une tradition veut que le premier décoré soit un vétéran du nom de Coignet. Quelques vieux officiers républicains, ceux que Bonaparte appelait « les mauvaises têtes », ne répondirent pas à l’appel de leur nom. Mais l’immense majorité de l’armée et de la nation accueillit avec joie la création de la Légion d’honneur.
Première distribution des décorations de la Légion d’honneur dans l’église des Invalides, le 14 juillet 1804
Tableau de Jean-Baptiste Debret (1768-1848)
Première distribution de la Légion d’honneur au camp de Boulogne, le 16 août 1804
Un mois plus tard, le 16 août, cette fête devait se renouveler au camp d’Ambleteuse, près de Boulogne-sur-Mer, où se trouvait réunie une armée de 70 000 hommes destinée à la descente en Angleterre.
Du haut de son trône, qui était, dit-on, le fauteuil de Dagobert, et qui dominait un vaste hémicycle occupé par les troupes, l’empereur découvrait toute l’armée, les batteries de côté, l’entrée du port et une partie de la rade.
Les militaires désignés vinrent successivement recevoir des mains de Napoléon les décorations qui leur étaient destinées. Pendant la cérémonie, des vaisseaux anglais s’étant imprudemment approchés de la côte furent canonnés par les bâtiments de la flotte française. Et, devant une foule de plus de 100 000 personnes, accourue de tous les points de la région septentrionale, la cérémonie se déroula, imposante et solennelle, au milieu des clameurs d’enthousiasme que ponctuait la grande voix du canon.
3. La légion d’honneur depuis son institution
- Du début à la fin du premier Empire, il est fait 48 000 nominations dans la légion d’honneur, dont 1 400 seulement de civils.
- La Restauration maintient la Légion d’honneur mais elle remplace l’effigie de son fondateur par celle d’Henri IV. Elle fait même de cette distinction un usage immodéré, et, dans ses deux premières années, ne distribue pas moins de 10 000 croix.
- Sous Louis-Philippe, on commence à se plaindre de la facilité avec laquelle on décore les gens. A cette époque, l’effectif constaté est de 96 grands-croix, 216 grands-officiers, 825 commandeurs, 4061 officiers, et un nombre considérable de chevaliers. Comme réponse à cet abus, la Chambre des députés vote, en 1840, la limitation en décidant que, dorénavant, il ne serait plus permis de s’écarter des chiffres fixés que pour faits de guerre.
- Le second Empire rétablit, sur les décorations, l’effigie de Napoléon Ier.
- Enfin, le 20 octobre 1870, le gouvernement de la Défense nationale décréte que la couronne impériale qui surmonte la décoration serait remplacée par une couronne de chêne et de laurier, et que l’effigie de la République, avec l’exergue République française 1870, serait substituée à celle de Napoléon Ier; et, au revers, à la place de l’aigle, deux drapeaux tricolores en sautoir avec la devise honneur et patrie.
- Le décret du 27 février 1951 institue encore quelques modifications. A l’avers figure l’effigie de la République entourée de l’inscription République française, tandis qu’au revers apparaissent le drapeau et l’étendard entourés de la devise honneur et patrie, sur fond d’émail bleu.
- Enfin, la VeRépublique apporte un seul changement, par le biais du décret en date du 28 novembre 1962 : est ajouté au revers la mention 29 floréal an X sur le cercle d’émail bleu, en plus de la devise honneur et patrie.
En 2016, il existait 93 000 récipiendaires vivants1, et environ un million de personnes ont reçu cette médaille depuis sa création.
La Légion d’honneur se porte avant tout autre insigne de décoration française ou étrangère, sur le côté gauche. Si on veut l’arborer sur sa tenue de ville, on porte à la boutonnière un ruban rouge ou une rosette. Les décorations pendantes et de format réduit sont privilégiées pour les cérémonies officielles.
Telles furent les diverses phases de l’histoire du glorieux ordre national de la légion d’honneur, auquel un musée est consacré, actuel musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, occupant une aile moderne élevée entre 1922 et 1925 sur l’emplacement des anciennes écuries de l’hôtel de Salm, à Paris.
Il fut créé à l’initiative du général Dubail et financé grâce à une souscription ouverte parmi les légionnaires et les médaillés militaires, dont le succès fut particulièrement vif aux Etats-Unis. Il a été inauguré en 1925. Agrandi et transformé au début des années 1930, il abrite des collections d’une incalculable richesse sur l’histoire des décorations et en particulier de la Légion d’honneur.
Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie
Notons à propos de la décoration nationale un détail très peu connu. Il s’agit d’une contrefaçon exotique de ce dernier.
En 1849, à Haïti, le président Soulouque, à l’occasion de sa proclamation comme empereur sous le nom de Faustin Ier, créa un ordre de la Légion d’honneur absolument calqué sur le nôtre. Mais cet « ersatz » de la grande institution de Bonaparte n’eut qu’une existence éphémère.
Texte proposé par Solange Bouvier
Source : La France Pittoresque – Le petit Journal illustré de 1932.