Par le marquage des voies terrestres ou fluviales depuis l’Antiquité, des frontières changeantes au fil des siècles, des limites de domaines, de communes, des itinéraires touristiques, les bornes et les panneaux indicateurs parlent de notre histoire sociale, économique et politique.
Fruit d’une collecte participative réalisée à l’initiative de la Fédération des associations patrimoniales de l’Isère, un ouvrage publié en juin 2019 présente un regard neuf sur ce patrimoine mal connu.
Depuis toujours les humains sont confrontés aux mêmes impératifs que les animaux : se repérer lors de déplacements et délimiter des territoires. Depuis des millénaires, ils se déplacent et ont besoin de repères.
En Isère, des toponymes préceltiques se réfèrent à des particularités géographiques et des itinéraires antérieurs à la conquête romaine sont attestés : les Romains ne sont pas à l’origine de tout.
A cause du relief, il y a une grande continuité entre les itinéraires antiques et les routes modernes.
La porte romaine de Bons à Mont-de-Lans à proximité de la route royale figurée sur l’Atlas de Trudaine (ancêtre de la RN91/RD1091) en témoigne.
Les voies romaines étaient ponctuées de bornes milliaires constituées de colonnes portant, les distances en milles romains (~1.460m), tous les 2000 pas et une dédicace à l’empereur.
Deux voies, menant de Lyon et de Vienne à Martigny et au Petit-Saint-Bernard, passaient par Bourgoin et Aoste. Elles figurent sur la table de Peutinger.
Le savoir-faire des géomètres, préalable au tracé des canaux ou des routes et à la délimitation des domaines, remonte à l’Antiquité (Egypte, Mésopotamie).
Des passages de la Bible déplorent le déplacement frauduleux des bornes :
Ne déplace pas la borne antique, n’empiète pas sur les champs des orphelins ! (Pr. 23:10, etc.).
Pour s’en prémunir les Romains faisaient appel au dieu Terminus sculpté sur les bornes de leurs domaines.
Des mots issus du nom de ce dieu servent encore à désigner des limites, comme « le Grand Terman » et « les Trois Terremens » à Dolomieu.
Après la Révolution, tout le monde a pu borner : la géométrie et de l’arpentage ont été enseignés aux garçons … mais « remplacés par les travaux d’aiguille » pour les filles !
De tous temps, des rochers ont été gravés pour marquer des limites.
A défaut, les seigneurs laïcs et religieux ont fait planter des bornes, comme celle portant les armes des Gesse de Poisieu, ou celles, plus récentes, sur les domaines des de Laroullière à Vertrieu.
Des arbres isolés en limite de champ ou étêtés (chante-merle) en forêt ont également servi de limite.
Les bornages des grands domaines ont souvent généré de violents conflits d’usage avec les habitants.
Au moins depuis Henri IV, des bornes et des socles de croix servent à indiquer des directions.
A la Balme-les-Grottes, une croix de 1896 remplaçant celle de 1593, indique <= Parmilieu 2K600 / Pressieu 2K880.
Pour l’entretien des routes une corvée permanente imposée aux bourgeois, commerçants, artisans et paysans, de 16 à 60 ans, habitant à moins de 3 lieues (~12 km), a généré la mise en place de bornes à partir de 1738-1740, puis d’un type nouveau après 1750.
Au 18e siècle, des bornes milliaires gravées d’un dauphin ont été mises en place puis regravées d’un bonnet phrygien sur une pique pendant la Révolution.
Plus tard, des bornes kilométriques de différents types ont été mises en place puis normalisées une 1ère fois avant d’être retournées de 90° pour être plus lisibles.
Des panneaux officiels ou payés par des marques ou associations ont également été mis en place, dont les panneaux indicateurs dits plaques de cochers (néologisme pratique) en fonte (brevet Bouilliant de 1846). Certains, datant du Second empire subsistent encore.
Quelques bornes fluviales subsistent au bord du Rhône, et ici-ou là, on peut trouver des repères géodésiques.
Certaines bornes ont suscité des légendes, d’autres restent mystérieuses.
Texte proposé par Monsieur Dominique Chancel
Architecte – Historien
‘‘Borner et Indiquer – Une autre histoire de l’Isère’’
Livre paru le 1er juillet 2019