Page 8 - DANS LES PAS DE LAMARTINE ENTRE HISTOIRE ET ANECDOTES
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ANNEXE







                        Composition française d’Alphonse de Lamartine, âgé de 12 ans

               Le coq chante sur le fumier du chemin, au milieu de ses poules qui grattent de leurs pattes la
               paille, pour y trouver le grain que le fléau a oublié dans l'épi quand on l'a battu dans la grange.
               Le village s'éveille à son chant joyeux. On voit les femmes et les jeunes filles sortir à demi
               vêtues des portes des chaumières, et peigner leurs longs cheveux avec le peigne aux dents de
               buis qui les lisse comme des écheveaux de soie. Elles se penchent sur la margelle du puits pour
               s'y laver les yeux et les joues dans le seau de cuivre, que la corde enroulée autour de la poulie
               criarde élève du fond du rocher jusqu'à leurs mains.

               Le vent attiédi de mai souffle, semblable à l'haleine d'un enfant qui se réveille; il sèche sur
               leurs visages et sur leurs cous les mèches humides de leurs cheveux. On les voit ensuite se
               répandre dans leurs petits jardins bordés de sureaux, dont la fleur ressemble à la neige qui n'a
               pas encore été touchée du soleil ; elles y cueillent des giroflées qu'elles attachent par une
               épingle à leurs manches, pour les respirer tout le jour en travaillant.

               Les hirondelles, qui sont revenues depuis peu de jours des pays inconnus où elles ont un
               second nid pour leurs hivers, n'ont pas encore pris leur vol; elles sont rangées les unes à côté
               des autres sur les conduits de fer-blanc qui bordent le toit, afin d'y saluer de plus haut le soleil
               qui va paraître, ou d'y tremper leurs becs dans l'eau que la dernière pluie y a laissée; on dirait
               une  corniche  animée  qui  fait  le  tour  du  toit.  Elles  ne  font  entendre  qu'un  imperceptible
               gazouillement,  semblable  aux  paroles  qu'on  balbutie  en  rêve,  comme  si  ces  charmants
               oiseaux, qui aiment tant la demeure de l'homme, avaient peur de réveiller les enfants encore
               endormis dans la chambre haute.

               Enfin, le soleil écarte là-bas, du côté du Mont-Blanc, d'épais rideaux de brouillards ou de
               nuages; l'astre s'en dégage peu à peu comme un navire en feu qui bondit sur les vagues en les
               colorant de son incendie; ses premières lueurs, qui le devancent, teignent les hautes collines
               d'une traînée de lumière rose; cette lueur ressemble aux reflets que la gueule du four, où
               pétillent le buis et le sarment enflammés, jette sur les visages des femmes qui font le pain.
               Elle ne brille pas glaciale comme pendant l'hiver sur le givre des prés; elle chauffe la terre, et
               elle essuie la rosée qui fume en s'élevant des brins d'herbe et du calice des fleurs dans les
               jardins. Le caillou que le rayon a touché est déjà tiède à ma main; le vent lui-même semble
               avoir traversé l'haleine de l'aurore du printemps; il souffle sur les collines, comme notre mère,
               quand nous étions petits et que nous rentrions tout transis de froid, soufflait sur nos doigts
               pour les dégourdir.

               Le soleil monte de plus en plus; il atteint déjà la cime du clocher, dont il fait briller la plus haute
               pierre comme un charbon; la cloche, ébranlée par la corde à laquelle se suspendent les petits
               enfants au signal du sonneur, répond à ce premier rayon de soleil par un tintement de joie qui
               fait tressaillir et envoler les colombes et les moineaux de tous les toits.


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